[Covid-19] «La recherche n’est pas en train de patiner bien au contraire», explique M. Diot, le directeur juridique de l'Institut Pasteur de Lille

[Covid-19] «La recherche n’est pas en train de patiner bien au contraire», explique M. Diot, le directeur juridique de l'Institut Pasteur de Lille

03.04.2020

Gestion d'entreprise

Les chercheurs de l'Institut Pasteur de Lille - ayant découvert le vaccin BCG, une piste prometteuse contre le Covid-19 - sont au front pour trouver un traitement. Ils espèrent pourvoir donner de bonnes nouvelles dans les prochains jours. Maxime Diot, responsable juridique, conformité et valorisation de la recherche de l'Institut, a répondu à nos questions.

L'Institut Pasteur de Lille travaille depuis 7 ans sur le coronavirus. Il multiplie aujourd'hui les collaborations avec d'autres laboratoires pour trouver un traitement et un vaccin contre le Covid-19. Une course contre la montre qui demande à sa direction juridique d'être particulièrement réactive. 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés

Comment est organisée votre direction juridique ?

L’Institut Pasteur de Lille, totalement indépendant de celui de Paris, compte 350 pasteuriens et 800 collaborateurs sur le site, dont la plupart sont des agents de l’Inserm, du CNRS, de l’Université de Lille ou du CHU de Lille. Je suis le directeur juridique du campus. J’agis pour le compte des pasteuriens et j’interviens en support des unités mixtes de recherches du campus. Mon activité s’articule autour des questions juridiques, de la valorisation de la recherche mais également de la conformité. Je suis aussi DPO, RSSI et référent harcèlement sexuel. En marge de mes activités à l’Institut Pasteur de Lille, je suis également délégué régional des Hauts-de-France de l’AFJE. Une assistante juriste et scientifique m’aide sur les contrats de maintenance et d’assurance ainsi qu’à la gestion des legs. Une seconde gère tout l’aspect juridique et organisationnel de la valorisation de la recherche que nous effectuons. 

Quelles sont les questions particulières qui vous sont posées ?

La direction juridique est en ce moment extrêmement sollicitée sur les contrats collaboratifs passés par l’Institut. Nous en signons de plus en plus avec les établissements de recherche français (les EPST) que sont l’Inserm, le CNRS et leurs différents laboratoires et nous développons de nombreuses collaborations au niveau européen. Ces collaborations visent à mieux comprendre le virus et à trouver des modalités d’actions contre celui-ci, de même qu’à réfléchir au repositionnement de molécules chimiques déjà existantes. Nous cultivons le virus. On le confronte à une chimiothèque d’environ 16 000 composés pharmaceutiques et on voit comment il se comporte. Les premiers résultats de ces tests sont attendus dans une semaine environ. Cela fait 3 semaines que nous sommes engagés dans cette démarche. Pour autant, il n’y aura pas de traitement disponible immédiatement. Une molécule étant validée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) uniquement sur une pathologie particulière, il faudra repasser des tests pour vérifier le bien fondé de celle-ci sur le Covid-19. La procédure devant l’ANSM ira sans doute très vite : elle pourrait prendre quelques mois alors qu’il faut compter normalement plusieurs années. Puis, le laboratoire qui trouvera le premier dans sa chimiothèque un composé ayant un impact sur le Covid-19, utilisera la procédure d’urgence de dépôt de brevet. Il y a actuellement une course à la propriété intellectuelle et particulièrement au brevet entre les laboratoires.

Nous travaillons aussi sur un vaccin. Notre Institut est celui qui a créé le BCG. Nous avons un fort historique sur la gestion des maladies infectieuses. Notre équipe spécialisée en virologie travaille sur le coronavirus depuis 7 ans (sur d’anciennes souches). On connaît les mécanismes du virus ainsi que sa composition et sa physiologie. On sait aussi quel est son impact sur les personnes infectées. Mais pour l’instant nous ne disposons pas encore de vaccin. Le coronavirus n’avait jusqu’ici pas vraiment fait parler de lui. Les laboratoires n’étaient pas à 100 % consacrés à son traitement. Le traitement de la tuberculose – la maladie infectieuse qui tue le plus grand nombre de personnes dans le monde – restait une priorité au niveau international. Même si nous mettons toutes nos forces sur la recherche d’un vaccin, il ne pourra pas être mis sur le marché avant 12 à 18 mois au minimum.

Nous avions également dans nos locaux une start-up qui exploite des brevets Inserm, Université de Lille et Pasteur Lille sur une molécule permettant de faire un dosage sanguin. Il permet de prédire le risque d’aggravation d’atteinte pulmonaire d’une personne malade pour la traiter de manière adaptée par anticipation afin de limiter son séjour en réanimation, voire de l’éviter. Ce test était initialement prévu pour anticiper les maladies nosocomiales post opératoires en matière pulmonaire. Nous accompagnons le chercheur à l’origine de cette découverte, via la création d’une entreprise innovante. Nous avons signé un contrat d’hébergement pour qu’il puisse redémarrer son activité au sein de l’Institut. Nous avons un grand espoir que sa découverte soit utilisée chez les patients devenant des cas graves à la suite du développement du Covid-19. Si cela fonctionne, cela pourrait aider les hôpitaux à réguler les admissions en réanimation. 

Travaillez-vous avec des industriels ? 

Nous avons de nombreuses collaborations avec des start-up et des CRO – des ETI qui font le lien entre les PME et les grandes entreprises pharmaceutiques pour « dérisquer » les traitements trouvés. Nous testons actuellement un traitement prévu contre Alzheimer sur le Covid-19. Les « big pharma » sont intéressés pour racheter des actifs de propriété intellectuelle lié à un élément chimique (molécule, adjuvant, peptide, etc.) dès lors que celui-ci arrive en phase d’essai clinique IIb ou III. Nous avons l’habitude de ce type de collaboration. Les industriels souhaitent obtenir 100 % des droits de propriété intellectuelle sur un traitement trouvé, à travers une concession de licence ou une cession des droits de propriété intellectuelle. Dans l’intérêt de l’Institut, nous privilégions la collaboration à la prestation de services qui nous conduit à renoncer à la propriété intellectuelle. Le contrat de collaboration scientifique, quant à lui, permet d’aboutir à partager la propriété intellectuelle et à faire avancer le bien commun. Notre travail de juriste consiste à être extrêmement attentif à ces velléités. 

Dans cette période sombre de l’histoire que nous traversons, les établissements de recherche sont en pleine compétition. Il y a un intérêt commun national et international à trouver un traitement et un vaccin. L’établissement de recherche et les chercheurs qui mettront au point ces traitements entreront dans l’histoire, comme Albert Calmette et Camille Guérin avec le BCG.  

Votre activité « DPO » est-elle aussi impactée par cette crise ?

En tant que DPO, je suis également très sollicité. Je reçois énormément de questions de l’extérieur. On me demande, par exemple, si des huiles essentielles ont été testées contre le Covid-19. Des personnes souhaitent aussi obtenir des recommandations. Il faut donc faire preuve d’esprit critique pour identifier les questions ou observations à faire remonter aux équipes de chercheurs. Face aux nombreuses interrogations de la population, l’Institut Pasteur de Lille a créé un site internet dédié à l’information autour du Covid-19. Le DPO doit également être vigilant à la protection et la gestion des données à caractère personnel des personnes concernées nous posant des questions. 

Et concernant votre casquette de RSSI ?

L’ANSSI et le ministère de l’intérieur nous alertent tous les jours sur les risques de piratage des établissements de recherche. Il y a un intérêt majeur à récolter de la donnée sur le Covid-19. Nous sommes très vigilants sur la sécurité informatique que nous avons renforcée. Nous avons eu une attaque « DDOS » (attaque par deni de service, ndlr) il y a une semaine et demi. Des adresses IP sont venues « bombarder » notre site internet pour le faire tomber. Et nous ne sommes pas les seuls. Il faut également faire attention aux vols d’ordinateurs contenant des données. Nous sensibilisons nos collaborateurs pour qu’ils appliquent les bonnes pratiques d’hygiène informatique de l’ANSSI  (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et du site cybermalveillance.gouv.fr sur leurs postes de travail informatique professionnels et sur leurs matériels personnels comme les téléphones portables. Nous faisons très attention aux adresses mails reçues et aux sites que nous consultons. Nous encourageons aussi nos équipes à se connecter via un VPN pour travailler à distance.

La crise a-t-elle d’autres implications pour votre institut ?

Nous devenons « fundraiser ». La très grande partie du budget de l’Institut provient des dons, des legs et du mécénat. Chaque euro qui nous est donné contribue à la science pour « vivre mieux plus longtemps ». Nous incitons l’ensemble de nos partenaires à y contribuer. Nous sommes perpétuellement en recherche de financements. Plus nous en obtenons, plus il nous est possible d’assurer une recherche de qualité en étant notamment attractif vis-à-vis des chercheurs internationaux qui voudraient venir en France. 

Espérez-vous pouvoir rapidement donner de bonnes nouvelles ? 

Nous en aurons et je l’espère à court terme. La recherche n’est pas en train de patiner bien au contraire. Nous avons rarement vu des équipes en effervescence comme aujourd’hui. Nous espérons avoir des résultats probants dans les prochains mois. Nous apprenons encore du virus. Ce qui permet d’adapter les recommandations à la population. Un article scientifique d’un laboratoire australien a repositionné le vaccin du BCG contre le Covid-19. Il se pourrait que nous signons un contrat de collaboration avec lui car nous sommes le centre de référence au niveau international. Nous devons actuellement être réactifs – quasiment dans la minute – sur la signature de collaborations avec d’autres laboratoires. Et il nous faudra conserver notre réactivité sur la valorisation des travaux de recherche. 

► Soutenez la recherche à l’Institut Pasteur de Lille en réalisant en don sur https://pasteur-lille.iraiser.eu/covid19-site/~mon-don ou contacter Maxime Diot (maxime.diot@pasteur-lille.fr) pour tout projet de mécénat d’entreprise.

propos recueillis par Sophie Bridier
Vous aimerez aussi